Le martyre et l'amphithéâtre
C'est dans ces moments où la fascination voire la sidération menacent, celle où le catho Hondelatte diffuse son exigeante dépression ou sa collègue Ruth Elkrief chante l'imperium, celle de Twitter où l'égalité factice des ignorances cumulées produit vagues et ressacs, celle de Facebook où le rance dominant me rappelle les odeurs fortes des vieilles pissotières en ardoise, c'est dans ces moments où il faut prendre dans sa cagnotte quelques pièces. Polymnia Athanassiadi, par exemple, car j'ai besoin de mots pour comprendre le martyre subi de cette fillette nigériane et le martyre volontaire des assassins de Paris de la semaine passée.
Sous le titre
« La Culture de l'amphithéâtre »
« Né dans un monde qui professe le pluralisme religieux, le christianisme exige pourtant de ses fidèles une dévosion exclusive à ses principes et, par conséquent, le rejet actif de toute autre voie menant à Dieu. Il se distingue également des autres courants spirituels de l'Empire par son esprit missionnaire. Or, si la foi exclusive est un héritage juif (donc une attitude familière à l'homme hellénistique), le prosélytisme agressif des chrétiens apparaît comme une nouveauté absolue... » (p44)
« Mais la banalisation progressive de la violence, qui permet l'intégration du martyre dans la vie quotidienne, est un phénomène cyclique qui procède de la société dans son ensemble et l'affecte à son tour tout entière.
Un des aspects les plus manifestes et les plus complexes de la violence omniprésente dans la société romaine est le martyre – ce spectaculaire pont de sang entre ce monde et l'au-delà jeté par l'espoir et le désespoir des multitudes croissantes. Infaillible indice du passage d'une réalité sociale à une autre, la boule de neige du martyre volontaire (que grossit la rhétorique du prédicateur et la prose sadique du chroniqueur) élabore des mentalités qui survivront à sa nécessité pratique... » (p45)
« Le martyre volontaire, voire sollicité, émerge, en tant qu'état psychologique et attitude sociale, au début du IIe siècle dans les milieux chrétiens de l'Anatolie et se répand à travers l' empire avec l'illogique célérité d'une vogue... Marc Aurèle, sous le règne de qui eut lieu une persécution locale de caractère restreint, voit dans le désir chrétien de se sacrifier « une pose théâtrale » et un état d'âme frivole allant jusqu'à la déraison engendré par le simple désir de s'opposer à la société... (p46
« il n'était pas du tout dans l'intérêt de l'avancement de la cause du christianisme de souffrir le martyre dans des endroits ou personne ne pourrait en être témoin » (citation de Glen Bowersock p 46-47)
Tiré de Polymnia Athanassiadi « Vers la pensée unique- La montée de l'intolérance dans l'antiquité tardive » - Les Belles Lettres – Paris 2010.
Polymnia Athanassiadi est professeur d'histoire ancienne à l'université d'Athênes.
Glen Warren Bowersock est professeur honoraire d'histoire ancienne aux universités de Strasbourg et Harvard.