Eradicateurs
Un petit scandale dont l'origine remonte à quelques semaines émeut encore La Havane : l'arbre multicentenaire fondateur de la ville a été coupé par l'administration (pour cause de maladie parasitaire, m'a t-on dit). On aurait compris la mesure prophylactique si du moins un prêtre habilité de la religion africaine avait pu, au préalable, aider à transférer son âme à son successeur. Mais là, rien ! Le pape Francisco, qui n'a même pas obtenu la levée du blocus, et a accueilli ici le métropolite russe pour discuter de l'après-Obama et de l'après-Raul peut bien ricaner : les dieux africains avaient traversé les mers bien avant lui et domestiqué les saints chrétiens. Au fond tous les éradicateurs procèdent de la même erreur : les salafistes à Tombouctou s'en prennent aux saints de l'islam, les identitaires aux arbres de la laïcité et à la déesse Raison, les calvinistes suisses aux minarets… Il est né en France une confrérie qui s'en prend à tous les signes distinctifs de cette religion qui concerne 6 à 7 % de nos compatriotes. Cette confrérie est politiquement diverse, mais elle tend à s'unifier autour de son propre Dieu, l’État : elle demande à l’État, dans une prière intense, d'éradiquer la superstition salafiste, de préserver le culte du Saint Jambon à la cantine scolaire, de repousser l'ennemi au-delà de Sevran-Baudottes, d'exorciser les tapis volants de l'IUT de Saint-Denis, de purifier Creil, de nettoyer Calais, de simplifier le Code du Travail, de faciliter les licenciements et de réformer les Prudhommes. Déjà en Corse, ô paradoxe ! Des milices l'ont soutenue dans cette croisade. L’État ne dit pas non : il se renforce à chacune de ces demandes, au prochain attentat il triplera de volume et Manuel Valls attrapera mal aux cervicales en essayant de lever le menton à la hauteur désirée. De façon amusante, j'ai vu dans un journal suisse une relation explicite au Kulturkampf, comme méthode que devraient appliquer ces prétendus « laïques » et j'ai pensé à nos deux compères et cependant humoristes londoniens Marx et Engels qui disaient- aux temps du Kulturkampf- qu'il fallait laisser les gens « satisfaire leurs besoins naturels, même religieux, sans que l’État y fourre son nez ». Même un prêtre syncrétique de ma connaissance est d'accord. Il a demandé pardon à un grand kapokier des bêtises de ses companeros bureaucrates.