Stiglitz, Boukharine et Martine Aubry.
Joseph Stiglitz, prix Nobel d'économie, a écrit dans Les Echos du 12 mai 2016 une intéressante chronique intitulée « Taux d'intérêt négatifs : le miroir aux alouettes » . Je résume à ma façon : sous prétexte de relance et donc de faciliter l'accès au crédit, les banques qui placent de l'argent à la BCE ou à la banque du Japon non seulement ne perçoivent rien, mais doivent payer jusqu'à 2 %. Et comme elles sont tenues, pour des raisons de sécurité et parfois pour des raisons légales de déposer leurs disponibilités dans les banques centrales, cela doit les inciter à en avoir moins possible, donc à prêter, ce qui est supposé aider à la relance de l'économie. Mais ça ne marche pas.
Avec les taux d'intérêt bas les banques se gavent (regardez donc le taux de vos découverts : elles empruntent gratos et vous prêtent à 9% et jusqu'à 18 % si vous dépassez le découvert) et continuent à sélectionner leurs clients entreprises et à multiplier frais de dossiers et chausse-trappes diverses qui compensent la décrue des taux. Mais comme il y a plein de pognon, il faut faire du profit avec et on peut donc, par exemple, les prêter à un fonds de pension qui grâce à quelques licenciements bien placés vous en tirera 12 % : ce faisant vous détruisez d'ailleurs un peu plus l'économie réelle (et les hommes et les femmes qui s'y trouvaient), mais ce n'est pas votre problème. Stiglitz ne dit pas tout çà, bien sûr, sinon il n'écrirait pas dans Les Echos, mais bon il dit :
« Entre 2000 et 2014, l'investissement dans les usines et l'équipement a chuté d'environ 7,5 % à 5,7 % du PIB en Europe et de 8,4 % à 6,8 % aux Etats-Unis »
Mais c'est un peu plus loin qu'il évoque un phénomène déjà analysé par Boukharine :
« L'idée que les entreprises calculent le taux d'intérêt en-dessous duquel elles vont investir est absurde ».
Nicolas Boukharine appelait cela « l'économie politique du rentier », mais en affirmant cela Stiglitz enfonce toute l'économie politique qui affirme que les biens n'ont que la valeur que leur donne le marché, par un tel calcul à la marge (d'où le nom d'économie marginaliste) sur les ressorts de la décision d'investir (moral des entreprises), de consommer (moral des ménages) etc. La suite du raisonnement du prix Nobel est d'ailleurs intéressante et il propose en gros des choses voisines de celles avancées par Varoufakis, Lordon, Corbyn… (je mets de côté les petits curés de Podemos, qui ne sont… que des petits curés).
Mais ce qui m'a fait écrire ce billet est un autre point de vue, publié à la page précédente du même journal : un certain Jean-Francis Pécresse, dont le nom me dit quelque chose, indique que, certes, la Loi El Khomri va passer (49-3), mais que Juppé ne va pas assez loin : personne, déplore t-il, ne propose franchement de supprimer le statut des fonctionnaires, l'autonomie des lycées, la sélection à l'université… il y a là une « relative fragilité de la foi libérale de la droite ». Heureusement, pourrions-nous répondre, il y a à gauche des gens qui ont cette foi. Pécresse est plus près du raisonnement actuel du capital, qui n'a rien de marginaliste : il faut taper sur la classe ouvrière et ses acquis, il faut taper sur la jeunesse, plus efficacement que Hollande, Juppé et Sarkozy, faire baisser encore et encore le « coût du travail », seul moyen réel de faire du profit, surtout en période de « faiblesse de l'investissement ». C'est déjà le propos de Valls-Hollande- Sauf que sans Martine Aubry, fille de notre sainte mère l’Église, l'affaire aurait pu mal tourner ; elle est d'ailleurs loin d'être finie.