Simulacres et avatars
J'ai été qualifié – il est vrai que c'était collectif – de « laïcard » dans une intervention prononcée par un affidé de Manuel Valls. Le terme « laïcard » est aujourd'hui partagé par les amis du susnommé, ceux du simulacre (au sens dickien) Macron (1) et par la fachosphère . Cette communauté d'épithète me semble devoir être rapprochée de la perte de contrôle du pouvoir sur ses propres créatures. En 1916, Jules Guesde, Briand et Malvy interdisent Nache Slovo et expulsent Léon Trotsky de France : nous sommes en pleine guerre, il y a déjà des millions de morts. La résistance commence à s'organiser autour des participants à la conférence de Zimmerwald. Nache Slovo (Notre Parole) quotidien russe publié alors à Paris par Trotsky, Lozovski, Antonov-Ovséenko, Lounatcharsky avec le soutien de Rosmer et Rakovski. Ce sont donc des socialistes français, dont l'ex rapporteur de la loi de 1905 et l'ex libre penseur Malvy, qui mettent fin à l'aventure où collaboraient les magnifiques figures pacifistes, féministes et libres penseuses d'Alexandra Kollontaï et Angelica Balabanova. Guesde et Briand pensaient diriger la France en guerre comme Valls et Cazeneuve, menton haut pour le premier, air pénétré pour son successeur, et Trotsky expulsé interpelait alors Guesde, ministre d’État : « Descendez, Jules Guesde, de votre automobile militaire » (11.10.1916). La meilleure illustration de cette orientation me semble être une photo publiée l'année suivante, où l'on voit Albert Thomas, autre ministre socialiste belliciste, haranguer les troupes russes pour les persuader de poursuivre la guerre alors que la révolution a commencé. Un des principaux soutiens du ministre français sur cette photo est le général Kornilov, qui tentera un coup d'etat contre le gouvernement de Kerensky, issu de la Révolution de février 1917. Albert Thomas continuera d'ailleurs sur cette orientation en soutenant l'éphémère « République Transcaucasienne » contre les bolcheviks après Brest-Litovsk. Je ne veux pas tenter une uchronie, simplement dire que c'est le Capital qui a dirigé Guesde, Briand, Malvy et l'armée française, comme c'est le Capital qui dirige Valls, Cazeneuve, Hollande et les forces de répression. Mais la décomposition et la crise font davantage de place aux simulacres et avatars, et comme je ne suis pas précog...
(1) Lire "Ubik" et "Minority Report" de Philip K. Dick