Victor Serge nous parle du moment présent.
On me dit parfois : « Oui, mais toi tu n’aimes personne ! » Et bien si, j’aime Victor Serge, et pas seulement pour ce texte si pertinent encore aujourd’hui . J’aime aussi les Belges et « Tierra y Libertad » qui ont publié Kilbatchich.
« Ouvrez les livres, les revues, les rapports des instituts scientifiques : il n’est question que de réformes de structure, de solutions « révolutionnaires », d’économie dirigée, de corporatisme… Que de terribles résistances à l’indispensable transformation de la société se dissimulent dans ces recherches, on s’en doute bien. Ce qui nous importe aujourd’hui, c’est de constater un besoin de changement né de l’impossibilité d’une défense sur les positions d’hier. Dans l’esprit même de ses tenants les plus avantagés, le capitalisme d’avant la guerre d’avant la crise, d’avant la révolution, générateur de guerres, de crises et de révolutions n’est plus défendable.Il a trop mauvaise conscience depuis vingt-cinq ans…
L’Ancien Régime absolutiste et féodal avait cette mauvaise conscience quelque temps avant 1789. On voyait des aristocrates, profiteurs de tous les abus, se complaire aux boutades de Diderot, collectionner les œuvres de M. de Voltaire, verser des larmes émues en lisant jean-Jacques… alors, comme aujourd’hui, on découvrait tout à coup l’homme, ses besoins, sa souffrance, l’homme du commun, le grand oublié des sociétés stables qui le font trimer, vivre et se battre à leur gré. D’obscurs mouvements de masse germaient cependant du côté du faubourg Saint-Antoine. »
Victor Serge « Retour à l’Ouest » Chroniques (juin 1936-mai 1940) – Chronique des 11-12 juillet 1936 (« L’indéfendable ») Ed. Agone 2010 pp15-16