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Publié par Michel GODICHEAU

Il avait fait partie des commandos de l’ancêtre de la DGSE, mais je ne crois pas que c’était le SDECE, et avait au moins accompagné des nageurs de combat en Asie du Sud-Est. Il nous l’avait dit. Nous n’avions pas d’emblée accepté son adhésion à la Libre Pensée et c’est un peu grâce à sa compagne, elle-même officier de police, que nous nous étions petit à petit rapprochés.
Il avait terminé sa carrière aux stups à Angers et c’est après son départ en retraite que nous avons vraiment noué des liens. Mais son départ en retraite fut grandiose. Sidney était déjà en congé de longue maladie depuis un moment, mais il était resté en relation avec ses équipes, celles des stups et celles de ses aventures extrême-orientales., dont tous les membres présents étaient recasés, soit dans la police, soit dans la magistrature, voire même, si mes souvenirs sont bons, dans la restauration. Il est d’usage d’offrir un cadeau et j’avais fait une petite provocation. Il y avait donc là des indics avec des têtes à vous faire un prix sur la beuh, des officiers de police, des magistrats, des éducateurs, quelques soignants, quelques asiatiques… et moi. Sidney avait un cancer de l’estomac et le sien avait été réduit, par des interventions successives, à la taille d’un dé à coudre… je lui ai donc offert une affiche sérigraphiée d’une conférence de la Libre pensée d’entre les deux guerres intitulée « Les miracles de Lourdes n’existent pas ». Quand j’ai sorti l’affiche du rouleau, il y a eu un grand blanc ! Mais Sidney se marrait de bon cœur et les pisse-froid se sont éloignés de moi. Avec les autres, surtout des flics, on est allés s’en jeter un à la cuisine en rigolant, puis je suis parti.
A partir de là Sidney a commencé à essayer une nouvelle vie à Rouen, cela a duré assez peu de temps, le cancer l’a rattrapé, ce ne fut pourtant pas la cause directe de sa mort. Compte tenu de sa vie familiale et sentimentale compliquée, je crois bien que j’ai été à peu près le seul à prendre la parole à ses obsèques. J’en garde un souvenir glacial. J’avais à l’époque une superbe voiture, une Mitsubishi Galant des année 1980, la meilleure des voitures que j’aie jamais eues, mais elle était un peu ancienne et je suis tombé en panne en allant d’Angers à Rouen. Le temps de trouver un garage, de réparer, de trouver l’adresse, je n’ai pas pu voir seul son cadavre émacié. Mais j’ai fait connaissance de ses enfants : son fils, qui doit avoir aujourd’hui une cinquantaine d’années, s’est montré sympathique, digne et efficace. Je ne sais plus si c’était l’hiver mais il faisait froid dans mon cœur et dans ma tête. J’ai parlé pour la Libre Pensée, mais également pour quelques flics qui me l’avaient demandé et aussi au nom des membres de son entourage que je connaissais. Et puis, à la sortie du crématorium, compte tenu des conflits familiaux, je me suis éclipsé discrètement. J’ai fait 200km, mais j’étais épuisé de solitude et d’émotion. Je me suis arrêté sur un parking, en face d’une gare, et suis allé me jeter quelques bières au rade d’en face, puis j’ai dormi dans mon carrosse jusqu’à ce que le froid me réveille.
Sidney avait fait une large expérience de la violence d’État, il était devenu extrêmement anarchiste antimilitariste (et anticlérical, bien sûr). Chez lui on écoutait le dernier album enregistré par « Les Quatre Barbus ». Ce flic chaleureux est un de mes bons souvenirs de vie. La situation actuelle dans la police est dramatique, mais il m’est encore arrivé, ces dernières années, de discuter avec des gens qui ressemblaient à Sidney.
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