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Publié par Michel GODICHEAU

 

J’ai profité des vacances pour lire avec beaucoup de retard l’ouvrage collectif coordonné par Françoise Olivier-Utard, que j’avais reçu en février 2019 : « De l’Allemagne à la France : le mouvement ouvrier en Alsace-Lorraine (1890-1920) » J’y ai beaucoup appris. (publication de la Société savante d’Alsace -2018) .

En écrivant le chapitre introductif de l’ouvrage, Françoise Olivier-Utard constate que les provinces annexées au Reich après la guerre ont vu une évolution démographique rapide. Les Allemands du Reich commencèrent à immigrer massivement, notamment pour remplacer les fonctionnaires français chassés, ou les Alsaciens et Lorrains qui avaient fui la « petite patrie » et étaient partis se réfugier en France ou en Amérique. En 1905, Metz compte 54 % d’allemands, Thionville 24 %, Thionville deviendra même majoritairement peuplée d’Allemands en 1910. C’est très largement le cas dans les mines de fer, moins dans le charbon et le textile.
A cela s’ajoutent les Italiens déjà présents. Mais le taux de syndicalisation s’accroît rapidement, sous l’influence des idées répandues en France à la même époque par les Bourses du Travail, mais surtout avec l’aide des militants des « syndicats libres » allemands liés au SPD (Les syndicats chrétiens se développent contre eux de façon significative).
La situation se compliquera d’ailleurs du fait des luttes de classes . L’essentiel de la lutte revendicative se concentre sur les tarifs (conventions collectives ) et de nombreux accords sont signés avec ou sans grèves. Mais les patrons de Berlin ne sentent pas toujours liés par les accords signés à Strasbourg et font venir des travailleurs de Galicie (région aujourd’hui partagée par l’Ukraine et la Pologne) pour casser une grève où il y aura deux morts.
Un autre auteur de cet ouvrage, Jean-Pierre Hirsch, note les moyens financiers importants mobilisés par les syndicats de toute l’Allemagne pour venir en aide aux grévistes. Il note aussi :
«  La lutte contre les briseurs de grève repose elle aussi sur l’arme financière. La Freie Press signale que dans telle ville, dans telle branche, une grève est en cours et conseille d’éviter d’y chercher du travail ou d’en accepter une commande.. Le patronat cherche alors à remplacer les grévistes par des travailleurs venus de plus loin, de préférence ne parlant pas l’Allemand pour rester imperméable à toute tentative de conversion syndicale. Une entreprise spécialisée à Hambourg, dirigée par un certain Hesberg, au casier judiciaire chargé, possède des filiales jusqu’à Milan ; elle peut faire venir du Frioul, de Galicie, de Pologne, de Russie, de Hambourg où les candidats pour l’Amérique attendent leur embarquement, quantité de gens mal formés, mais qui ont l’avantage d’ignorer la langue des militants locaux » (p 50)
Et c’est cette classe ouvrière vigoureuse et organisée, que l’on précipitera en 1914 dans la grande boucherie mondiale, avec le concours des dirigeants sociaux-démocrates et malgré la résistance des partisans de Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht dont on trouve aussi les traces en Alsace-Lorraine.
En lisant ce livre j’ai pensé au film de la réalisatrice d’origine iranienne Sepideh Farsi « Demain, je traverse », présenté l’automne dernier au Festival international du film de Thessalonique (en présence de la réalisatrice et de quelques-uns des comédiens) , et qui devrait sortir en salle « dès que les circonstances le permettront ». Rien à voir, évidemment ! Sauf que de la vie « normale », d’une policière athénienne à la vie « normale » d’un réfugié Syrien, passant du meurtre et de la destruction au camp de Lesbos, juste une feuille de papier à cigarette, aujourd’hui très fine bien que décisive, et c'est la même chose entre la vie d’un ouvrier gréviste alsacien d’origine badoise, fier de se battre avec son syndicat, et celle du même, mourant sous l’uniforme allemand quelques mois plus tard.
Et le même écart si ténu, entre cette vieille camarade syndicaliste abandonnée à l’Ehpad sous Buzyn et morte d’étouffement sans prise en charge, comme cinq de ses amies, et Mme Roselyne Bachelot qui commente avec une certaine lucidité les talons hauts de ses propres tenues.
J’avais le projet d’aller à Téhéran . J’irai « dès que les circonstances le permettront ». Pour l'heure, je suis aux côtés  de l'ouvrier allemand,  du docker de Beyrouth et de l'aide  soignante de l'Ehpad. Labkhand  veut dire "sourire" en farsi, paraît-il.
 
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