QUITTER ET SE QUITTER.
Je quitte Trélazé et je trie. J ai retrouvé la petite part des archives de Roger Pantais que Jeannette m’avait laissée : je l’emporte. Roger, Président de la Fédération de Maine-et-Loire de la Libre Pensée, avait été un militant opératif de la Révolution espagnole, ses amis anarchistes ont publié ici une histoire dont je connaissais quelques détails supplémentaires. C’est André Rivry qui m’avait conté cela en premier, peu avant le temps de sa disparition. Roger était encore plus allusif quand il en parlait et puis sa mémoire lui jouait déjà des tours. Tous les acteurs sont morts (Roger a disparu en 1997) et l’Histoire ne saura rien, ni la police de l’Histoire (et c’est déjà çà!) et la mémoire collective elle-même est en train de s’estomper. Je me suis bien engueulé avec André Rivry et s’il avait vécu cela aurait été encore pire, mais nous tirions sur le même fil, celui de l’émancipation humaine. Attention ! Il y a aussi des anecdotes du quotidien sur ces gars-là : une ancienne amie d’André m’avais raconté une histoire contestée de cocotte minute accaparée (!) quand André était directeur (le premier) de la Maison de Retraite de la Libre Pensée à Saint-Georges-des-7 voies, je n’ai pas tout à fait compris, mais le ton de l’amie était vindicatif : moi ça m’avait fait marrer. Et puis je n’ai jamais fait réparer ma voiture au « Garage Pantais » à Trélazé, mais la conduite de Roger c’était quelque chose ! Le garage Pantais avait disparu quand je me suis installé, en revanche on lisait encore l’inscription « Coopérative l’Avenir du Prolétariat » sur les murs de l’immeuble en face de mon bureau et, juste sous le toit, le « chien assis » était doté d’une poulie qui servait, quelques décennies plus tôt, à hisser les sacs de farine, car « L’Avenir du Prolétariat » était une coopérative alimentaire qui permettant, entre autres, aux perreyeux de tenir pendant les grèves. Je vais quitter cette ville qui m’a déjà quitté car cette génération de militants a presque disparu et n’a (un peu) survécu que dans la Libre Pensée c’est d’ailleurs cela qui m’a retenu ici presque 35 ans, et permis de boire l’extraordinaire Sauternes de Paul Lapeyre. Ah ! on était loin des rrrévolutionnaires que j’ai vu passer pendant toutes ces années, aujourd’hui ils sont souvent rangés des voitures (c’est honorable), ou passés du côté du manche (j’ai retrouvé aussi les archives qui préfiguraient la trahison des « bon copains » en 1940) ou gèrent une petite boutique d’extrême-gauche (c’est dérisoire). Et voici que ce matin, alors que louchais vers la chemise d’archives de Roger que je n’ai pas rouverte depuis la mort de Jeannette en 2014, j’apprends la nouvelle tant redoutée de la mort de Joachim Salamero, mon ami et le leur, le « Barcelonais », le Bordelais, ami de Paul et Aristide Lapeyre, le métallo, archétype du prolétaire instruit, du dirigeant syndical qui a permis à une génération de s’approprier le combat pour l’indépendance, le libre penseur organisé, subtil et fraternel. Je pleure. Mais comme lui face à son petit-fils il y a trois jours, je lève le poing ! Une autre génération se lève. Le congrès de mon organisation syndicale a lieu demain matin salle Fernand Pelloutier à la Bourse du Travail. De Fernand Pelloutier à Marc Prévôtel et à Joachim Salamero, c’est le combat pour l’émancipation intégrale.