J’ai récemment eu des nouvelles d’une ancienne collègue au Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU, de la délégation d’une ONG humaniste. Cette jeune femme aux multiples talents a fait son chemin a été successivement liée à plusieurs organisations internationales qui interviennent à Genève, New York ou en Allemagne. Elle n’est aujourd’hui plus bénévole, elle travaille, grâce à son entregent, mais aussi à son CV international, comme cadre pour un important groupe de cliniques. Ailleurs, et avec des statuts dès l’origine très rémunérateurs, on a vu Mme Cécile Duflot passer du statut de ministre à celui de directrice d’une grande ONG (Oxfam) et M. Martin Hirsch a fait le chemin inverse depuis Emmaüs. J’ai entendu quelques professionnels de l’humanitaire, en réunion, échanger sur des plans de carrière. J’ai revu la liste des contacts de l’époque, je ne m’y trouve pas d’ennemi personnel, je garde même de l’admiration pour une jeune stagiaire, issue de parents diplomates, qui n’avait alors pas 20 ans et dont l’intelligence irradiait vraiment : elle travaille aujourd’hui pour un grand cabinet international d’avocats. Il existe aussi des minables ambitieux que le système recycle plus ou moins. Moi, j’allais, à mes frais, quérir le gîte et le couvert chez les Suisses ou à proximité : j’y ai rencontré cheminot, instituteur, chanteuse lyrique, bibliothécaire, professeur d’enseignement ménager, ouvrier du bâtiment… curieusement, alors que, paraît-il, le communisme est mort et enterré, mes relations sentaient le soufre pour peu qu’ils et elles se reconnaissent comme prolétaires.
Cela m’avait inspiré, en 2010, une conférence à Nancy sur « Les ONG, les Eglises et le Nouvel Ordre Mondial », j’avais un peu choqué, l’organisateur a, depuis, fait un chemin opposé au mien… J’avais tort sur le titre : ce n’est pas d’un nouvel ordre mondial dont il s’agit, mais d’un chaos anticipé, sinon voulu.
Chaos organisé ou anticipé… J’ai de mes yeux vu les approches d’un leader de la grande distribution vers l’association d’une jeune femme au destin ministériel et j’ai eu un aperçu des manœuvres de séduction et la générosité associative d’un magnat de la haute couture. Les faits parlaient, déjà, mais souvent seulement là où il n’y avait pas d’oreilles pour les écouter. Aujourd’hui les dégâts deviennent visibles. Voici des exemples dans deux domaines dont l’actualité m’a amené à m’occuper :
Le Droit de la Mer
Une spécialiste internationale du Droit de la Mer, Mme Nathalie Ros, observe donc aujourd’hui « [on présente] la privatisation comme instrument de protection de la biodiversité (1), mais elle est en premier lieu justifiée par un mythe plus ancien quoique renouvelé, la privatisation comme outil de gestion des pêches »
Sous prétexte de sauvegarde de l’environnement, la mer est victime d’un phénomène que l’on peut comparer à celui des « enclosures » dans l’Angleterre du XVIe siècle c’est-à-dire la clôture des terrains laissés auparavant libres à la « vaine pâture » et au petit peuple de la forêt. Pour la mer, c’est la fin du principe du « mare liberum » principe de la mer libre, clé du Droit international public. Sauf qu’ici ce sont les ONG qui se voient utiliser comme le fer de lance de cette privatisation. C’est le cas du WWF, partenaire de puissants groupes internationaux et un des principaux agents de cette entreprise. (voir http://www.ecolopedia.fr?p=176)
Le Liban
Dans son magistral ouvrage d’analyse de la situation libanaise, qui vient de paraître, M. Charbel Nahas, ancien ministre libanais, témoin de l’effondrement de son pays, met, entre autres, en évidence « le développement foudroyant des ONG, massivement financées par l’étranger, mais aussi par de riches libanais, résidents ou surtout de la diaspora, qui ont absorbé un grand nombre de jeunes militants en les embrigadant sous le label ambigu de la « société civile » , sur des agendas parcellisés en les soumettant à des injonctions véhémentes dont principalement celle de ne pas se mêler de « politique ». (p 277-278)
Un nouveau mode de gouvernance est ainsi en train de se mettre en place : pendant que les stratèges tracent à grand coup de zones grisées une continuité maritime et gazière turcophile entre la Libye dévastée et la Turquie, tandis que les Syriens et Irakiens sont livrés aux chiens de guerre dans les barbelés de l’Union européenne, tandis que les Libanais réfléchissent à « comment fuir », les ONG équipées de logisticiens bien payés et de bénévoles récompensés par leurs hormones, gèrent le chaos pour que le chaos puisse continuer à générer du profit.
Chao ab chao : le Death Metal avait du bon et le grunt une justification.
Notes : (1)Nathalie Ros. La privatisation des mers et des océans: du mythe à la réalité. Patrick Chaumette.
Transforming the Ocean Law by Requirement of the Marine Environment Conservation - Le Droit de l’Océan transformé par l’exigence de conservation de l’environnement marin, Marcial Pons, 2019, 978-84-9123-635-1. halshs-02396208
(2) Charbel Nahas Rituel du non-Etat communautaire – Les élections libanaises, 2016-2019.-ed Oufouk 2021.