Sévèrement puni.
Monsieur Pepy,
Ah ! M. Pepy, je me doutais bien de ce que votre vengeance serait terrible : elle n’a guère tardé ! Le 8 mai dernier, inspiré par feu ma cousine Ernestine Chasseboeuf, je jetais à la face du ouaibe une missive vindicative et j’ai bien vu, lors d’un de vos passages subséquents à la télévision, que vous me regardiez d’un drôle d’air. Aussi n’ai-je été qu’à moitié surpris que vous vous saisissiez du début de la saison des suicides pour me faire payer cher mon outrecuidance. Ce jeudi était automnal et gris de froid , la désespérance sociale, un temps écrasée au sol par les anticyclones, relevait la tête. Je crains qu’il n’y ait beaucoup de suicides cet automne, surtout si vous savez arrêter les grèves : tenez, je vous parie que si la contestation de la RGPP met les hôpitaux, les territoriaux et les instituteurs dans la rue, il fera soudain plus beau (forcément, pour les manifs) et du coup, il y aura moins de suicides. Bref mon TGV s’est donc arrêté dans la gare de Meuse TGV, sur ce plateau de Langres où la pluie froide nous glaçait, comme elle glaçait jadis les combattants de la bataille de Verdun. Je n’avais jamais visité les marches occidentales de la Basse Lotharingie, M. Pepy, et je pourrais vous remercier de cette halte forcée si la suite ne m’avait laissé un peu amer. Or donc, nous devisions, correctement informés par un chef de bord affable et un contrôleur helvète attentif (TGV Lyria oblige), qui, au bout d’un peu plus d’une heure et conformément au règlement européen 1371/2007, nous servit une ration de guerre fort convenable. Les correspondances à Paris furent dûment notées, mais manifestement le staff avait des difficultés à obtenir des informations. Trois heures plus tard, en arrivant à Paris-Est, on nous annonça que les renseignements sur les mesures prises à notre égard nous seraient donnés par « le personnel d’accueil présent sur le quai », comme je l’avais déjà vu quelques jours auparavant à l’occasion d’un autre retard. A ce moment, rien à dire : circonstances imprévisibles, gestion de crise, pas d’article 1832 du Code civil, protocole correctement mémorisé et appliqué... je m’apprêtais à squatter le canapé banlieusard d’une amie (retenue un moment pour tenter d’empêcher une expulsion : c’est l’automne, disais-je) , car le dernier train pour Angers part à 21h15, au lieu de 23h il y a quelques années... Mais il était 22h30, il n’y avait personne sur le quai, et les choses ont commencé à dériver dans une gare dont les passagers bloqués étaient ballotés par le tangage qui les faisait buter d’un panneau lumineux à l’autre. Après avoir tenté de changer mon e-billet à l’automate (deux lignes de code dans le programme auraient pu l’autoriser, après tout), je me suis résolu à faire la queue devant le guichet où Kamel tentait avec le sourire de gérer les flux. Ledit Kamel m’ayant indiqué que la SNCF nous logerait près de Montparnasse (les protocoles qualité c’est extra), j’ai alors, très imprudemment je vous le concède, tenu le raisonnement suivant : « Il est 23h, j’ai treize heures de voyage dans les jambes, mon hôtesse a des soucis, j’aurai une heure de transports en commun demain matin pour rattraper mon train pour Angers, je suis fatigué et je vais ennuyer tout le monde, autant accepter le lit et la douche à Montparnasse ». Grave erreur ! Après trente minutes de ligne 4 et couloirs (avec les valises et l’âge on les sent) voici l’arrivée à l’accueil de Montparnasse. Une stagiaire accueille chaleureusement les naufragés, leur offre une chaise : on y croit ! Les employés recherchent des places dans les trains du lendemain : j’en ai un à 7h30, c’est bien, surtout que l’hôtel ne sera peut-être pas tout près. Nouvelle erreur, l’hôtel fut tout près. J’avais quand même senti que les choses se gâtaient en voyant, après minuit , arriver la Sécurité ferroviaire qui me donne la nostalgie des cheminots de jadis. Bref, faute de places disponibles on nous hébergera dans une « rame-dortoir » ; veuillez excuser mon ignorance, M. Pepy, je ne savais pas ce qu’était une rame-dortoir, mais j’avais compris que la gare allait fermer : les uniformes et les matraques sont des symboles que tout le monde comprend. Je dois à la vérité de dire qu’on nous a alors proposé de rechercher la chambre que la SNCF n’avait pas trouvé et que, sur présentation de la note on nous attribuerait ensuite 70 € . A minuit, restent sans doute à proximité quelques chambres de quatre étoiles et ça fait cher du billet.
La rame-dortoir .
Ah la simplicité lumineuse des concepts ! Je la connaissais en fait la rame-dortoir de la voie 8 ! C’est une rame familière avec sa petite odeur d’urine et quelques journaux qui traînent encore, car les passagers de première classe sont négligents. On ne peut pas s’allonger, mais l’on peut se recroqueviller, il n’y a pas de douche et personne ne semble avoir eu l’idée de stocker quelque part quelques trousses de type Lunéa ou Talgo pour faire un brin de toilette. Moi, je n’ai pas eu droit à une couverture de non-tissé jetable et j’ai mis cela sur le compte de mon arrivée tardive : j’avais cru pouvoir exciper de ma qualité de juriste pour réclamer au comptoir une attestation concernant la décision de me mettre dans une « rame-dortoir », dans un régime de semi-liberté : statut de la dite rame au regard de la SNCF, titre d’occupation etc. J’avais dépassé les bornes, certes, alors que d’autres étaient beaucoup plus sages ou encore plus épuisés. J’avais omis de signaler en public mes petits problèmes de santé et j’ai du faire avec, personne ne semblait avoir prévu le cas de figure, puisqu’une PMR (ah ah !) a du, pour des raisons obscures, partager notre infortune. Bref, il y avait quand même peu de chances que je claque durant la nuit. Bon, j’avais fait déplacer au comptoir la responsable de l’accueil, qui épuisée, m’a fait, en lieu et place d’attestation, un mot gentil et demandé, en sus, de lui permettre de m’expliquer la politique de l’entreprise, ce que, je l’avoue, j’ai, après quatorze heures de voyage, accepté de mauvaise grâce. Un seul moment de poésie : ce chocolat autochauffant que l’on peut emporter dans des expéditions articques ou des traversées du Pacifique et qui vous fait rêver de grands espaces, vous qui participez tout de même à une aventure ! J’ai plié ma veste et je me suis endormi. Pas très longtemps : le chien beauceron trapu de la dame de la sécurité ferroviaire avait sans doute une haleine aussi fétide que la mienne (ni lui ni moi n’avions pu nous brosser les dents) et mes pieds dépassaient dans le couloir : bing ! Excuses. Les panneaux publicitaires mobiles et le bruit de la motrice m’ont alors obsédé jusque vers cinq heures où les plus matinaux de mes compagnons ont choisi de se lever pour rejoindre les premiers trains. J’espérais encore, M. Pepy, j’espérais votre clémence sous la forme d’un bon de croissant et d’un gobelet de carton empli de café chaud. Mais ma faute était sans doute trop grande et à 5h40 la sécurité est venue nous demander de vider les lieux avant six heures : la « rame-dortoir » devait reprendre son statut de TGV. A cette heure là rien n’est ouvert, pas même l’accueil, ceux qui ont passé la nuit dehors viennent prendre un peu de chaleur, on les reconnaît aisément à leur mine et je me sens privilégié ; les premiers TGV reprennent à six heures : je suis sorti faire pisser mes bagages et j’ai traversé l’avenue du Maine pour prendre un café. J’ai trouvé les gens gentils. Le TGV de 07h30 était à l’heure, j’ai composté mon billet gratuit et je me croyais quitte : le contrôleur m’a tout de même réveillé pour me demander mon billet d’origine. Vous avez raison M.Pepy de prévoir ce point de procédure dans la formation donnée aux contrôleurs : on n’est jamais trop prudent !
Un dernier mot : si vous décidiez de m’indemniser, je transférerais l’argent aux salariés de Seafrance.
Et j’espère vous trouver de même.
MG