Demain je traverse
L’image du portrait funéraire de Arshia Emamgholizadeh, ce garçon de 16 ans , emprisonné 10 jours pour avoir fait tomber le couvre-chef d’un mollah et qui s’est suicidé deux jours après sa sortie de prison, m’a fait penser à la réalisatrice Sepideh Farsi, elle-même iranienne et autrice du film « Demain je traverse », que j’ai rencontrée à la projection de son film vu en 2019 au festival de Thessalonique. Comme « Soleil vert » était plus précurseur que ses auteurs ne l’imaginaient, « Demain je traverse » est, à mon avis, significatif de la réalité contemporaine du chaos mondial. Un jeune Syrien, combattant pour une milice, décide de traverser : en Grèce, il retrouve un camp de réfugiés, puis l’amour d’une fliquesse qui vend des trucs illégaux pour que sa mère...pour que sa fille… bref, une vie urbaine. Entre la société « normale » et la guerre, il n’y a qu’un tout petit fil invisible souvent posé là par un destin cruel, mais les deux mondes se répondent tellement que le jeune homme finira par retraverser vers la Syrie. Des millions de citoyennes et citoyens de la République Populaire de Chine se sont aperçus, en regardant le foot au Qatar, qu’il était urgent de traverser : je ne sais s’ils y arriveront, mais 1,4 milliard de gens qui traversent, ça pourrait faire du bruit. Le fil est parfois si invisible qu’on peut traverser par inadvertance : j’ai rencontré il y a peu un type à qui le ministre grec Adonis Giorgiadis devait de l’argent, Giorgiadis est un hurluberlu, une sorte de Cyril Hanouna, ancien animateur de TV comme lui, devenu ministre de la Santé puis du Développement parce que Bolloré avait gagné les élections à la Boulè… enfin presque : ce sont d’autres oligarques. J’ai aperçu le fil, dans l’ombre et j’ai fait un pas de côté. Imaginez Cyril Hanouna ministre de l’Intérieur… les étudiants de l’Université Aristote de Thessalonique envahie par les flics ont déjà donné. Et ce monde là nous donne un jeune garçon iranien de seize ans, mort deux jours après avoir rencontré le baron Vladimir Harkonnen. On a le droit de pleurer.