Cheikh Bedreddine et les mosquées de Serrès

Je considère, pour ma part, qu’organiser une compétition de Beach Volley sur la Place de la Démocratie à Xanthi pose un problème politique. Et je sais que les organisateurs le savent (En France, cela ferait un bon sujet pour Cnews). Mais je considère aussi que ce serait trop long à exposer ici. Voilà.

Mais cela a un rapport avec Cheikh Bedreddine ( par bonheur, les voyages dans le temps n’existent pas : cela protège l’auteur de « Varidât » d’une rencontre avec Pascal Praud!)

J’ai fait le voyage à Serrès et je ne le regrette pas. Je n’ai même pas trouvé l’emplacement du mausolée naguère érigé en souvenir de l’homme qu fut exécuté ici vers 1420 (EV), le soufi qui a fait trembler le sultan Mehmet 1°, coalisant des paysans par delà les religions et les communautés. L’Église orthodoxe a une mémoire historique particulière : elle a fait en sorte que l’emplacement soit vendu pour un usage commercial : en l’occurrence une pharmacie.

Heureusement, la municipalité de ce chef-lieu de Macédoine centrale a pu rénover (magnifiquement!) une des mosquées du XVIe siècle. Les deux autres sont à l’abandon, malgré un projet avec l’Unesco. La mosquée Mehmet Bey, qui était la plus imposante et un des principaux lieux de culte des Balkans jusqu’aux guerres balkaniques du début du XXe siècle a été édifiée grâce aux revenus du Sultan en Crimée. L’annexion de la Crimée par l’empire russe en 1783 a été le début du déclin. J’ai signé le livre d’or de la mosquée restaurée de Zircinli dans le quartier du même nom. Un édifice plus modeste, mais dont les proportions sont remarquables. Beau travail. Les jeunes gens qui assurent le gardiennage attendent votre visite.

En Turquie, Recep Tayib Erdogan s’est servi des instruments de contrôle de la religion mis en place par Mustapha Kemal. Il a volé les clés. Mais les clés de quoi ? La Turquie n’est pas plus sunnite que la France n’est catholique romaine ou la Grèce orthodoxe byzantine, malgré les milliers de morts massacrés depuis 1600 ans au nom de la Sainte Trinité, de l’Unicité de Dieu ou de la prééminence papale. Aujourd’hui encore, par ici, des popes ou des moines se mettent à leur compte car ils trouvent les évêques trop tièdes ou les mœurs trop dissolues (ou flairent la bonne affaire). Le millénarisme écolo-climatique alimente bien sûr le phénomène. Et une fraction du clergé orthodoxe qui se sent malgré tout menacé vient d’assurer ses arrières en faisant élire à la Boulè dix députés officiellement cléricaux (« Niki » « Victoire » est le nom de leur parti).

L’épopée de Cheikh Bedreddine et de ses compagnons c’est un tout autre paysage. En ce XVe siècle, des paysans valaques, juifs, grecs chrétiens, sunnites, alévis, bektashis, bulgares… se sont révoltés ensemble. Cette révolte, à l’origine fiscale, avait besoin d’une idée : celle de Bedreddine fit sauter des barrières apparemment puissantes avec un instrument "absent" , celui de la lutte des classes. Mes amis pontios, sarakadazani, anatoliens, caucasiens, roussoponti, smirniotes, vlachos, mes voisins albanais (épirotes ou non), pomaques, réfugiés chypriotes ou « yougoslaves », thraki turcophones ou bulgares récemment hellénisés ne peuvent se retrouver que sur ce terrain là, celui au fond que partageait Bedreddine qui postule, 250 ans avant Spinoza, que « dieu est un corps unique composé de chaque particule de l’univers… conception éminemment matérialiste. »(Bahar Kimyongur).

Un jour Serrès aura son monument à Cheikh Bedreddine.

La mosquée rénovée de Zircinli et la mosquée Mehmet Bey à l'abandon